Guatemala. Victoire pour la démocratie

25 octobre 2025 | Laurence Ouellet-Boivin

L'entrée en poste du nouveau président élu Bernardo Arévalo le 15 janvier 2024 marque un tournant pour le Guatemala. Si elle représente une victoire pour la démocratie et l'État de droit, les obstacles demeurent nombreux et l'avenir, incertain…

Le Guatemala s'inscrit parmi les pays les plus corrompus au monde selon l'organisation Transparency International. Cette corruption se matérialise à travers ce que plusieurs nomment communément le « pacte des corrompus » : un réseau d'élites politiques, militaires et économiques qui a réussi, au fil des ans, à modeler à son avantage la scène politique et économique du pays, notamment par la manipulation des institutions publiques, électorales et juridiques. Cette corruption s'est accentuée depuis la dissolution de la Commission internationale contre l'impunité au Guatemala en 2019 par le président Jimmy Morales et l'inéligibilité de plusieurs candidats progressistes ou anti-establishment. Dans ce contexte particulier, la création du parti Movimiento Semilla suite aux protestations anticorruptions de 2015 représente possiblement l'étincelle ayant permis le changement de paradigme observé aux dernières élections.

La surprenante arrivée d'Arévalo

L'élection présidentielle de 2023 marque ainsi un tournant avec l'élection à la présidence du candidat progressiste Bernardo Arévalo. Arévalo se dresse comme un défenseur de l'État de droit et une figure forte du mouvement anticorruption au Guatemala. De plus, la candidature d'Arévalo présente également une distinction importante du fait de son absence de lien avec le monde politique et les autres instances corrompues. Le dénouement étonnant du premier tour, positionnant Arévalo favorablement pour le deuxième tour, fut en effet une réelle surprise pour la sphère politique conservatrice qui ne tarda pas à mettre en œuvre certaines actions pour empêcher son élection. En effet, l'élite politique et économique du pays tenta de bloquer la participation de son parti au deuxième tour et de bannir Arévalo de l'élection en entamant des poursuites judiciaires contre le candidat et son parti.

Une procédure légale auprès de la Cour constitutionnelle pour dénoncer de soi-disant irrégularités lors du premier tour des élections et pour révoquer l'immunité politique d'Arévalo fut lancée par les différents partis conservateurs. Cette attaque envers la démocratie fut secondée d'une tentative par le Ministère Public de révoquer le statut du parti. Ces actions furent entre autres portées par la procureure générale du Guatemala, María Consuelo Porras, et le chef du Bureau du procureur spécial contre l'impunité du Ministère Public, Rafael Curruchiche. Dans la même lignée, en décembre dernier, Curruchiche tenta – en vain – d'inciter le tribunal suprême électoral d'annuler le résultat de l'élection lors d'une conférence de presse. Ces actions sont d'ailleurs qualifiées de « tentative de coup d'État » par l'Organisation des États d'Amérique.

Un changement de paradigme

La mobilisation du peuple guatémaltèque face aux diverses tentatives de la droite de saboter l'élection a eu un impact majeur sur la préservation de l'État de droit et de la démocratie du pays. Cette mobilisation étonnante du peuple guatémaltèque représente un changement de paradigme important pour le pays, caractérisé par le retour dans la rue d'une population qui avait délaissé cette forme de manifestation dans les dernières années, par peur de représailles. Plusieurs nomment ainsi cette révolution sociale le deuxième printemps guatémaltèque. Les manifestations publiques en faveur du respect de la démocratie et en soutien au président élu ont représenté une pression constante sur le « pacte des corrompus » afin de respecter le résultat de l'élection.

Cette mobilisation a particulièrement été portée par des leader·euses autochtones et par la jeunesse guatémaltèque qui ont joué un rôle majeur, autant dans la campagne électorale d'Arévalo que dans son entrée en poste. Cette jeunesse s'est fortement mobilisée en faveur du nouveau président, dans la rue et sur différents médias sociaux. De même, plusieurs regroupements autochtones ont lutté pour le respect du processus démocratique en manifestant devant le bureau de la procureure générale pendant plusieurs mois. Après une longue période d'incertitude et de lutte acharnée, Arévalo réussit enfin à atteindre sa cérémonie d'assermentation dans la nuit du 14 au 15 janvier, malgré les tentatives de la droite de l'en empêcher.

Un avenir semé d'embûches

Bien qu'elle représente sans aucun doute une victoire pour l'État de droit, la démocratie et la lutte anticorruption au Guatemala, l'élection de Bernardo Arévalo ne marque pas la fin de ces combats. Les nombreuses tentatives visant à empêcher son entrée en poste montrent la persévérance du pacte des corrompus ainsi que son emprise sur les instances du pays. Par ailleurs, la transition politique ne se déroule pas sans heurts. Le refus de la procureure générale Porras de rencontrer Arévalo illustre la dure conciliation entre le nouveau chef de l'exécutif et l'establishment politique. Le froid entre Arévalo et la procureure générale représente une difficulté bien particulière pour le nouveau président qui ne peut pas entamer de poursuite pénale contre l'élite corrompue sans son appui. Cette paralysie du système judiciaire – retardant les objectifs anticorruptions d'Arévalo – pourrait bien lui coûter certains de ces soutiens. Dans la même lignée, l'absence de majorité du Movimiento Semilla au Congrès présage de nombreuses difficultés à venir.

Ainsi, malgré la forte mobilisation de la population et bien que la jeunesse et certains mouvements autochtones se soient montrés en faveur de l'entrée en poste d'Arévalo, cette mobilisation n'est pas garante d'un appui pérenne de ces groupes et de la population en général, dont les attentes sont élevées. Le président devra faire ses preuves et présenter des résultats tangibles afin de préserver cet engagement.

Photo : Président Bernardo Arévalo, Gouvernement du Guatemala (Crédit : PDM 1.0 DEED)

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