Pendant Turquoise, pour les militaires français, l’ennemi c’est les Tutsi

5/01/2013
Illustration: Pendant Turquoise, pour les militaires français, l'ennemi c'est les Tutsi
Pendant Turquoise, pour les militaires français, l’ennemi c’est les Tutsi
 5/01/2013

Le jeudi 29 novembre dernier une rencontre-débat animée par Charlotte Lacoste et Farès Ben Mena à Nancy : l’objet du débat, Silence Turquoise, Rwanda 1992 - 1994, Responsabilités de l’Etat Français dans le génocide des Tutsi, un livre co-écrit par Laure de Vulpian et l’ancien adjudant du GIGN, Thierry Prungnaud.

Ci-dessous le témoignage de « Philippe », l’un des collègues du GIGN de Thierry Prungnaud, présent à ses côtés lors de la découverte des survivants et des massacres perpétrés à Biserero, le 30 juin 1994.

Témoignage rapporté par Raphaëlle Chargois (ici-c-nancy.fr) :


C’est lorsque Laure de Vulpian et Charlotte Lacoste ont évoqué le 27 juin 1994, et ce moment-clé si controversé de l’intervention de « Diego » que s’est produit l’une des plus grosses surprises de la soirée : Laure de Vulpian s’est alors tournée vers un homme dans la salle et lui a demandé d’apporter son témoignage.

L’homme de stature plutôt carrée, aux cheveux ras, grisonnants, et au visage grave a alors pris la parole pour raconter Bisesero tel qu’il l’avait vécu. Il s’agissait en effet de « Philippe », l’un des collègues du GIGN de Thierry Prungnaud, présent à ses côtés lors de la découverte des survivants et des massacres perpétrés à Biserero, le 30 juin 1994, l’un des témoins interrogés par la journaliste lors de la préparation de Silence Turquoise.

Parlant d’abord timidement, il évoqua ensuite les événements sur un ton où perçaient encore l’émotion et la colère.

« La population de Gishyita [1] avait racontée à Gillier [2] que le FPR les massacrait.

Gillier y croyait dur comme fer.

Le 28, on entend des détonations depuis le camp où on est, et ça conforte Gillier dans l’idée que la ville subit les assauts des rebelles.

Le 29 après-midi, on ne peut rien faire, puisqu’on reçoit la visite du Ministre de la Défense, François Léotard.

Le 30 on traverse Bisesero en mode militaire. A Givosu, on distribue des biscuits vitaminés. Et là, il y a un homme qui veut nous voir, accompagné d’un plus jeune. Ils nous montrent une maison qui avait dû être brûlée la veille, ça fume encore. Ils insistent, ils nous disent qu’il faut qu’on redescende, parce que c’est en bas que ça se passe. »

Revenant sur le sauvetage d’un millier de Tutsi auquel il a participé, il conclut : « C’est le lendemain qu’on a compris que les gens qu’on avait sauvés étaient de l’ethnie que depuis le début on nous avait désignée comme ennemie ».

Laure de Vulpian à Nancy : Une rencontre passionnante et surprenante (Raphaëlle Chargois, ici-c-nancy.fr, 17 décembre 2012)

[1Des Hutus, bien sûr, les Tutsi qui vivaient là avant le génocide ayant dû fuir depuis bien longtemps pour se réfugier et se cacher dans les montagnes.

[2Marin Gillier, qui possède désormais le grade de vice-amiral était alors capitaine de frégate des commandos de marine (Trepel) et dirigeait le détachement de Gishyita en juin 1994.