Le rapport Hourigan : une légende urbaine (Épisode 1)

17 février 2012 | Rwanda-LaGrandeManip'

Le rapport Hourigan était aussi précieux pour le juge Bruguière que les Manuscrits de la mer Morte pour les théologiens…

C’est une légende urbaine qui alimente depuis douze ans la Grande Manip’. Certains prétendent que le juge Bruguière la raconte encore à ses petits-enfants, le soir à la veillée, en tirant sur sa pipe.

Même s’il ne s’agit pas à proprement parler d’une manipulation délibérée de la part de l’enquêteur du TPIR qui en assume la paternité et lui a donné son nom, l’affaire dite du “rapport Hourigan” occupe une place hautement symbolique dans le dossier qui nous intéresse. C’est en effet à dater du jour où ce mystérieux rapport a été rendu public dans les médias, en mars 2000 (nous y reviendrons dans le second épisode) que la thèse d’une implication du FPR dans l’attentat du 6 avril 1994 a commencé à prospérer.

Notre histoire commence deux ans après le génocide. Ancien policier dans son pays, devenu récemment procureur, l’Australien Michael Hourigan est recruté par le TPIR pour coordonner son “équipe nationale”, basée au Rwanda et composée d’une vingtaine d’enquêteurs. “Notre rôle était de concentrer nos investigations sur les responsables politiques et militaires rwandais pouvant être impliqués dans le génocide et poursuivis à ce titre devant le TPIR”, précise Michael Hourigan lors de son audition par la justice française, le 29 décembre 2000. L’Australien est placé sous les ordres du chef des enquêteurs du TPIR, le Canadien Alphonse Breau.

Dans la même déposition, Michael Hourigan ajoute qu’initialement, l’attentat du 6 avril 1994 était considéré comme un dossier prioritaire par son équipe. Cela peut surprendre quand on sait que cet attentat, s’il a servi de prétexte à ceux qui ont enclenché le génocide dans la nuit du 6 au 7 avril 1994, est totalement distinct du génocide lui-même, dont il n’est en rien la cause. Mais selon Hourigan, “il avait été convenu, sur les instructions d’Alphonse Breau, qu’entrait dans le champ de nos investigations l’attentat du 6 avril 1994”.

Michael Hourigan a posé la première pierre de la Grande Manip’ à l'époque où il travaillait au Rwanda pour le TPIR…

La colline accouche d’une souris
Pendant près d’une année, poursuit-il, ses hommes cherchent donc à élucider le crime annonciateur du génocide. “D’avril 1996 à la fin février 1997, nous avons enquêté sur l’attentat du 6 avril 1994 pour en identifier les responsables et ce, sans idée préconçue. Deux thèses antinomiques s’affrontaient: la piste hutue, qui désignait les extrémistes du Hutu Power, tout proche du président Habyarimana, et la piste du FPR.”

Malheureusement, nul ne sait quelles découvertes ont été effectuées par “l’équipe nationale” entre avril 1996 et février 1997. L’unique précision factuelle apportée par Michael Hourigan à ce sujet se révèle en effet plutôt mince – voire anorexique.

“Alors que nous n’avions obtenu aucune information tangible pouvant impliquer les extrémistes hutus, nous avions en revanche recueilli des informations sur l’implication du FPR. C’est ainsi que nous avons pu apprendre qu’un soldat des FAR avait intercepté un message du FPR en relation directe avec l’attentat contre l’avion du président Habyarimana. Ce message, envoyé d’une station radio du FPR à une autre, disait: ‘La cible a été atteinte.’ D’après mes souvenirs, nous avions diligenté à l’époque une enquête pour identifier ce soldat des FAR mais il n’a pas été retrouvé. Nous avons obtenu un autre élément d’information qui allait dans le même sens, provenant d’un capitaine de la Minuar d’origine togolaise, le capitaine Apedo, qui détenait une information identique.”

Ce que Michael Hourigan s’abstient de préciser, c’est que le capitaine togolais Apedo tenait lui-même cette “information” d’un major des ex-FAR, mais qu’il n’a pas été le témoin direct de la fameuse écoute. Autrement dit, en un an, les enquêteurs de Michael Hourigan n’ont engrangé qu’une information de seconde main, totalement virtuelle, dont nous verrons plus loin qu’elle est sans doute à ranger parmi les nombreuses tentatives d’intoxication des ex-FAR.

Ce qui n’empêche pas les enquêteurs du TPIR de la prendre au sérieux et de privilégier, dès lors, la piste FPR.

Si l’on en croit la déposition faite par Michael Hourigan devant le juge Bruguière, ce n’est qu’entre la fin janvier et le début février 1997 que son équipe finit par engranger ses premiers éléments d’information sur l’attentat. C’est en effet à cette date que l’enquêteur australien est contacté par l’un de ses subordonnés, le Sénégalais Amadou Deme, qui souhaite le voir d’urgence. Amadou Deme connaît bien le Rwanda. En 1993-1994, il a appartenu au Groupe d’observateurs militaires neutres déployé par l’Union africaine, avant de devenir officier de renseignement au sein de la Minuar. Les deux hommes se rencontrent à l’hôtel Méridien, à Kigali. Là, l’enquêteur sénégalais lui confie avoir été contacté par un officier supérieur de l’Armée patriotique rwandaise (APR) qui lui a révélé que Paul Kagame serait personnellement impliqué dans l’attentat du 6 avril 1994. Selon cette source, d’autres hauts responsables du FPR seraient également impliqués.

“Mon enquêteur m’a également dit qu’il y avait un deuxième informateur susceptible de corroborer ces informations, relate Michael Hourigan lors de son audition. Ces deux sources – que je n’ai personnellement jamais vues – ont fait savoir à mon enquêteur que si le TPIR était intéressé, elles pouvaient avoir accès à un sergent du FPR qui était à l’époque dans le nord du Rwanda, lequel avait tiré un des missiles contre l’avion du président Habyarimana.”

Ainsi, au début de l’année 1997, deux témoins providentiels (censés appartenir à l’armée rwandaise) prennent eux-mêmes contact avec les enquêteurs de l’ONU en leur promettant des révélations sur l’attentat. Le plus étonnant à ce stade est probablement de constater que l’un des tireurs de missiles serait prêt à passer aux aveux, malgré les risques de poursuites judiciaires auxquels il s’exposerait alors.

Jamais deux (repentis) sans trois
À la même époque, par l’intermédiaire cette fois de l’enquêteur canadien Peter Dnistriansky, l’équipe de Michael Hourigan est également approchée par un troisième “repenti”. Cet ancien gendarme rwandais prétend avoir appartenu à une cellule dénommée “Network”, dont il affirme qu’elle était dirigée par Paul Kagame en personne. Il souhaite se confier au TPIR pour parler du “Network”, qui est, selon lui, responsable de kidnappings, de meurtres et d’autres exactions commises par le FPR. En outre, le témoin prétend disposer d’informations sur l’attentat contre l’avion présidentiel. À l’appui de ses affirmations, il apporte une boîte métallique censée provenir du Falcon 50.

Mais Michael Hourigan et ses hommes comprennent rapidement que la crédibilité de ce témoin est très improbable. “J’ai vu personnellement ce gendarme rwandais à une ou deux reprises, raconte Hourigan. Cet informateur m’est apparu moins intéressant que les précédents car il ne relatait par des faits dont il avait été personnellement le témoin, mais des événements qu’il prétendait avoir connus par des tiers.”

Avant de poursuivre le traitement de ces trois sources, l’ancien policier australien  souhaite obtenir de sa hiérarchie – en particulier d’Alphonse Breau, le chef des enquêteurs, et de Louise Arbour, la procureure générale du TPIR  – des garanties quant à la sécurité de ses informateurs et de sa propre équipe.

Ancienne procureure générale du TPIR et du TPIY, la Candienne Louise Arbour a involontairement provoqué le buzz du rapport Hourigan…

Aux environs du 7 mars 1997, selon ses souvenirs, Michael Hourigan s’entretient par téléphone avec Louise Arbour, qui se trouve alors à La Haye. Il souhaite lui révéler  la teneur des informations recueillies par son équipe concernant l’attentat du 6 avril. Trois informateurs “tutsi” (ce qui est censé crédibiliser leur témoignage) affirment que Paul Kagame est le commanditaire de l’attentat, annonce-t-il à la magistrate. Ces derniers seraient susceptibles d’étayer cette accusation si leur sécurité était garantie. Selon Michael Hourigan, Louise Arbour se montre intéressée par les informations qu’il lui communique et l’incite à poursuivre son enquête.

Quelques jours plus tard,  Michael Hourigan rédige un mémorandum interne contenant les informations communiquées à son équipe par ces informateurs. Dans ce texte figure l’identité des membres de l’APR qui seraient impliqués dans l’attentat, ainsi que les détails opérationnels livrés par les “repentis”. Une fois ce document rédigé, Michael Hourigan l’enregistre sur une disquette avant de prendre un avion pour La Haye, où il doit rencontrer Louise Arbour. Alphonse Breau, le chef des enquêteurs, et Mohamed Otman, le procureur adjoint du TPIR à Kigali, assistent à la réunion.

À cette occasion, selon Michael Hourigan, Louise Arbour change radicalement d’attitude. Après l’avoir encouragé à poursuivre son enquête quelques jours plus tôt, elle devient très agressive à son égard. Elle remet notamment en cause les informations sur l’attentat que son équipe a obtenues, tout en émettant des doutes sur la fiabilité des sources qui les ont communiquées et sur la probité intellectuelle et morale du Sénégalais Amadou Deme, qui a recueilli le témoignage des deux premiers informateurs. Toujours selon Hourigan, la procureure générale du TPIR et du TPIY  lui reproche d’avoir conduit une telle enquête et se montre préoccupée des informations contenues dans son  mémorandum, qui visent des dignitaires du régime en place à Kigali. Louise Arbour conclut la rencontre en affirmant que l’attentat du 6 avril 1994 n’entre pas dans le mandat du TPIR et qu’elle n’a pas l’intention d’offrir une protection aux informateurs de l’équipe de Michael Hourigan.

“Mme Arbour s’est contentée alors de dire que cette enquête – je veux parler de celle concernant l’attentat à contre l’avion du président Habyarimana – était en dehors du mandat du TPIR et qu’il n’était pas dans ses intentions de protéger nos sources, résume l’enquêteur australien. […] Mme Arbour a considéré qu’il s’agissait en fait d’assassinats, [que l’attentat] ne pouvait avoir la qualification de crime de guerre et que cela ne pouvait donc être de la compétence du TPIR. Ces propos ne souffraient pas la contestation. J’étais personnellement sous le coup de l’émotion, ne nous attendant pas à un tel revirement d’attitude et je ne lui ai même pas demandé pour quelles raisons elle avait opéré un tel revirement.”

Le rapport Hourigan a fait couler bien plus d'encre qu'il n'en aura fallu pour le rédiger…

Incrédule, Michael Hourigan s’exécute. Faute d’obtenir l’accord de sa hiérarchie, son équipe met un terme à ses contacts avec les deux informateurs. De leur côté, ni Louise Arbour, ni Alphonse Breau, ni Mohamed Otman ne feront jamais la moindre déclaration publique sur le revirement évoqué par Michael Hourigan. Les ingrédients sont donc réunis pour permettre aux plus folles interprétations de fleurir – nous y reviendrons dans le 3e épisode.

En mai 1997, Michael Hourigan démissionne de l’équipe d’enquêteurs du TPIR pour rejoindre l’OIOS (Office of Internal Oversight Services) de l’ONU. Le 1er août suivant, il rédige un rapport confidentiel de trois pages à l’intention de Frank Montil, chef adjoint de l’OIOS, qui souhaite obtenir certaines explications sur les dysfonctionnement du TPIR. Dans ce document de deux pages, un court paragraphe est consacré à l’épisode des informateurs rencontrés quelques mois plus tôt, qui accusaient le FPR d’avoir organisé l’attentat contre l’avion présidentiel.

Aucun nom ni aucun détail n’est fourni qui permettrait de mesurer la fiabilité de leur récit, d’autant qu’aucune enquête n’a jamais pu être menée pour l’évaluer.

C’est pourtant ce document qui fuitera trois ans plus tard dans un quotidien canadien, provoquant un raz-de-marée médiatique d’un bout à l’autre de la planète…

(à suivre…)

*Télécharger le mémorandum Hourigan [pdf/4pages; les noms propres sont biffés].

* Télécharger le rapport Hourigan [pdf/3 pages].

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